Une des questions que revient régulièrement sur les forums de mycologie est la suivante : Est-ce que l’on peut manger ou non le Gyromitra esculenta / Gyromitre commun ? Il a été jugé nécessaire de prendre le temps de répondre à la question, car elle est trop récurrente, et les réponses portent souvent à confusion.

Il faut savoir pour débuter que le gyromitre commun contient des hydrazones, incluant des gyromitrines qui sont décomposées par hydrolyse dans le corps humain en monométhylhydrazine (MMH), un des constituants du carburant à fusée. Ces dernières molécules sont notamment agents de défaillance hépato-rénale potentiellement mortelle, en plus d’être cancérigènes. La confusion vient en grande partie du fait que ce champignon était autrefois considéré comestible. Toutefois, de nombreux accidents provoquant des décès ont forcé le remaniement de son statut. Dans certains cas, une intoxication rapide peut survenir, souvent dans les heures qui suivent la consommation. Les symptômes sont alors principalement vomissements, nausées, diarrhées, crampes abdominales, vertiges, maux de tête, jaunisse et gaz intestinaux. Dans les cas extrêmes, coma et décès peuvent même survenir. Le gyromitre commun est en fait maintenant reconnu comme l’un des plus grands vecteurs d’intoxication aux champignons en Amérique du Nord.

Gyromitra esculenta / Gyromitre commun

L’intoxication peut également être lente, sur le long terme, car ces molécules s’accumulent dans le corps. Donc même si quelqu’un dit que ça fait des années qu’il en mange sans problème, cela n’est pas garant d’une immunité. Cet individu va peut-être se mettre à avoir des problèmes la prochaine fois qu’il va en consommer, ou la suivante. Vous comprenez l’idée ? Malheureusement, les gens qui en consomment encore apportent généralement l’argument de la déshydratation et le fait de le faire bouillir, deux fois plutôt qu’une, qui supposément enlèverait la toxine. Au point d’être dangereux de respirer la vapeur de cuisson. Et ils ont raison, mais seulement en partie. Une étude a démontré que c’est entre 30 et 71% des toxines qui persistent après séchage, et 10% après avoir bouilli deux fois. Ça veut dire quoi? Ça veut dire que le meilleur des traitements va faire en sorte qu’il est nécessaire d’avoir 10X plus de champignons pour être intoxiqué que s’ils n’avaient pas eu de traitement. Donc à terme, selon les quantités ingérées, le danger persiste, en particulier puisque les toxines sont accumulées dans le corps. Bref, il est maintenant vivement conseillé de NE PAS MANGER ce champignon.

Le gyromitre commun est toxique

Plus spécifiquement, le MMH inactive la vitamine B6 qui est un co-facteur arrivant dans l’encéphale pour activer deux neurotransmetteurs obligatoires, le glutamate et le GABA. Le premier, principal excitateur neuronal, nécessite le co-facteur vitamine B6 pour se transformer en GABA, principal contrôleur de cette excitation neuronale. Il y a donc équilibre entre ces deux neurotransmetteurs. Comme le GABA est manquant à cause de l’absence de cette vitamine, il se produit un effet épileptique qui provoque convulsions et coma. L’accumulation du MMH augmente la déficience en vitamine B6 et donc l’effet peut être à court ou à long terme, soit par consommations successives ou à longue échéance. Un des traitements majeurs est l’injection intraveineuse de vitamine B6. De plus, le MMH est une cytotoxine du foie et indirectement du rein. De plus, comme mentionné ci-haut, il peut être mutagène et induire un effet cancérigène. Donc, trois conséquences graves dues à ce MMH. La cuisson, le blanchiment, le séchage et le cannage ne changeront rien à ces conséquences, puisque le MMH est toujours résiduel.

À noter qu’en plus de ces mécanismes hasardeux impliquant le gyromitre commun, une nouvelle hypothèse impliquant les gyromitres contenant des gyromitrines a été proposée. Cette théorie basée sur des présomptions épidémiologiques stipule que des produits issus des gyromitrines sont susceptibles de dégrader l’ADN, modifiant le métabolisme des radicaux libres impliqués dans l’oxydation cellulaire. Une telle observation est connue comme l’un des mécanismes identifiés au cours de l’évolution de la maladie de Charcot, connue également sous le nom de sclérose latérale amyotrophique (SLA). Certains gyromitres pourraient ainsi être impliqués dans l’apparition de la SLA. C’est d’ailleurs ce qui serait vraisemblablement survenu en France au début des années 2000 ainsi qu’en Finlande au début du 20e siècle où 227 cas de SLA ont alors été rapportés.

Bref, même s’il a été consommé dans le passé, il importe de modifier nos comportements en fonction des nouvelles connaissances qui font surface. La mycologie est une science en évolution et savoir s’adapter n’est malheureusement pas optionnel.

Références :

  • Ilkka Ojanperä. Mushroom toxins. In: Forensic Science. 2008: Elsevier [lien]
  • Roland Labbé. Gyromitra esculenta / Gyromitre commun. 2022: MycoQuébec [lien]
  • Lagrange E, Vernous JP, Reis, J, et al. An amyotrophic lateral sclerosis hot spot in the French Alps associated with genotoxic fungi. J Neurol Sci 2021;427:117558. [lien]

N.B. Si vous avez à argumenter, faites-le avec des évidences scientifiques. Un débat n’est constructif que s’il est appuyé par des arguments valides.

Texte : Eric Rousseau & Roland Labbé
Photos : Eric Rousseau

1 commentaire

  • claire Lizotte,

    Voici un complément instructif suite à mon papier dans le Boletin. Merci ça répond à toutes mes interrogations.

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