Les morilles représentent probablement le groupe de champignons qui excite le plus la plupart des mycologues. Que ce soit en raison de leur valeur gastronomique ou tout simplement parce qu’ils sont dans les premiers à faire leur apparition à chaque année, ouvrant ainsi le bal à la saison mycologique. En fait, les morilles vont généralement faire leur apparition au Québec entre les mois de mai et juin.

Les morilles sont les représentants du genre Morchella qui fait partie de la famille des Morchellaceae, aux côtés des vèrpes et certaines pézizes du genre Disciotis. Les morilles font donc partie du vaste embranchement des Ascomycètes. Ce qui caractérise l’ensemble des Morchellaceae est la présence d’asques qui ne se colorent pas de bleu au contact de l’iode, et des spores lisses, elliptiques, et homogènes. Par ailleurs, ces spores contiennent de façon caractéristique un très grand nombre de noyaux, c’est-à-dire entre 20 et 60.
 
Le nom du genre Morchella est dérivé de morchel, un ancien mot allemand pour désigner les champignons. Le genre a été créé par Dillenius en 1718 et validé par Persoon en 1794 autour de l’espèce type Phallus esculentus, décrite par Linné en 1753. Le nom du genre a été sanctionné par Fries en 1822 et comprenait alors 12 espèces.
 
L’ancêtre commun le plus récent des Morchella serait Morchella rufobrunnea, actuellement trouvé au Mexique, et qui remonte à 125 Mo d’années, c’est-à-dire lors du Crétacé, dernière époque des grands dinosaures. Les morilles ont ainsi possiblement une origine tropicale.
 
Morchella spp. (clade Esculenta) / Morille blonde
 
Description sommaire de la morille blonde

 

L’aspect général des morilles est assez particulier. Comme vous le savez sûrement, c’est un peu comme une éponge au bout d’un pied de couleur crème, lequel s’attache directement à la base du chapeau. L’ensemble de la structure est creux et la chair quelque peu caoutchouteuse. À la surface de cette éponge, on distingue des alvéoles, ou dépressions, séparées par un circuit de côtes distinctes. En fait, quand on considère qu’une morille a une structure similaire à une multitude de pézizes (les alvéoles) rattachées par une structure de soutien (les côtes), il est plus facile de comprendre l’appartenance à une même famille.
 
Au Québec, on sépare généralement les morilles en deux groupes, ou clades. On distingue ainsi les clades Elata et Esculenta. Chacun de ces deux groupes est composé de plusieurs espèces difficilement distinguables. À noter que mondialement, un troisième clade existe, le clade Rufobrunnea. Dans notre belle province, le clade Elata, ou morille noire, représente au moins 9 espèces, alors que le clade Esculenta, ou morille blonde, en compte au moins 3. Les deux clades se seraient séparés il y a 100 millions d’années et se seraient scindés en différentes espèces à l’époque du paléocène, c’est-à-dire il y a environ 55 millions d’années. Les morilles auraient pris naissance en Amérique du Nord, où le clade Esculenta se serait d’abord dispersé sur la Côte Est, alors que le clade Elata se serait initialement épanoui sur la Côte Ouest. Les deux clades ont fini par rejoindre l’Asie et l’Europe par le détroit de Béring.
 
De façon générale, le chapeau de morilles blondes présente une teinte dorée alors que celui des morilles noires est plutôt dans les teintes de chamois à brun-gris. Plus spécifiquement, on peut distinguer les deux clades grâce au fait que les morilles blondes présentent des côtes plus pâles que les alvéoles alors que les morilles noires présentent des côtes plus foncées que les alvéoles. Toutefois, les côtes immatures des jeunes morilles noires peuvent à l’occasion êtres plus pâles que les alvéoles. La distinction peut alors s’avérer presque impossible à faire à l’œil nu. La présence de spécimens plus matures est évidemment ici un atout pour une identification juste.
 
Comme autres différences importantes, on peut noter que les morilles blondes vont souvent laisser apparaître des tâches rougeâtres sur la chair en vieillissant. De plus, ces dernières vont généralement présenter une forme cylindrique alors que les morilles noires vont souvent avoir une forme plus conique, d’où leur surnom de morille conique.
 
Morchella spp. (clade Elata) / Morille noire
 
Description sommaire de la morille noire

 

Les cueilleurs assidus de morilles parlent également à l’occasion de morilles grises et de morilles vertes, en raison de leur teinte correspondante. Toutefois, les études génétiques n’ont pu établir le statut d’espèce pour ces différentes morilles. En effet, il s’avère que les morilles grises sont en fait de jeunes morilles blondes, changeant de coloration lors de la maturation. Quant aux morilles vertes, il faut savoir que plusieurs espèces de morilles ont le potentiel de présenter une telle teinte.
 
Pour ce qui est de l’habitat, on retrouve généralement les morilles sur des sols sablonneux, sous les peupliers, ainsi que sur des sols argileux, sous les vieux ormes ou les frênes. Il semblerait qu’on les retrouve également parfois dans les plantations de pommiers, et même dans les aménagements d’horticulture. En fait, les morilles semblent apprécier les endroits modifiés par la main de l’homme. Enfin, comme vous le savez sûrement, les morilles dites de feu apprécient également énormément le sol des forêts boréales l’année suivant un feu de forêt.
 
Une théorie pour expliquer cet attrait pour les forêts boréales brûlées a été proposée par Mr André J. Fortin, qui stipule que les morilles sont en fait rhizonécrophage, c’est-à-dire qu’elles se nourrissent de racines mourantes. Apparemment, les espèces de morilles se retrouvant sur ces terres brûlées ne sont pas les mêmes que celles qui n’y figurent pas.
 
Certains mycologues amateurs vont chercher leur première talle de morilles pendant des années avant de parvenir à la trouver. Alors, ne nous demandez pas de vous donner leur emplacement. En effet, la localisation des talles de morilles est un secret bien gardé, semble-t-il parfois même légué lors du testament ! Toutefois, lorsque vous l’aurez trouvée, vous devriez avoir le plaisir de revoir les morilles faire leur apparition au même endroit années après années.
 
Des enfants heureux de leur récolte !
 
Malgré le grand attrait gastronomique des morilles, il est important de savoir qu’elles sont toxiques à l’état cru. Elles contiennent en effet de l’hémolysine, une toxine entraînant un syndrome hémolytique, c’est-à-dire la destruction des globules rouges. Heureusement, ces toxines sont détruites à la cuisson. Il importe donc toujours de bien faire cuire les morilles, une bonne dizaine de minutes, avant de les consommer. De plus, il est important de savoir que la déshydratation n’élimine pas la présence de ces toxines.
 
À noter que la déshydratation des morilles accentue leur pouvoir aromatique. Toutefois, ces aromes étant liposolubles, après réhydratation, il importe d’utiliser un corps gras lors de la cuisson pour en profiter pleinement, n’en déplaise aux diététistes. En contrepartie, vous pouvez vous déculpabiliser sachant que 3 morilles contiennent près de la moitié de la quantité de fer quotidienne recommandée !
 
Enfin, il importe de distinguer la morille de certaines espèces de gyromitre, notamment le gyromitre commun, souvent nommée également fausse morille. En effet, cette dernière contient de la gyromitrine, une toxine qui persiste à la cuisson, et qui peut se transformer en monométhylhydrazine, composant de carburant à fusée. De très nombreux cas d’empoissonnement ont été rapportés. Les symptômes sont: vomissements, nausées, diarrhées, crampes abdominales, vertiges, maux de tête, jaunisse et gaz intestinaux. Pour le reconnaître, le gyromitre comporte un hyménophore de forme cérébelleuse, c’est-à-dire qui s’apparente à la forme d’un cerveau, plutôt irrégulière, alors que la morille présente une forme conique, dont on peut identifier des côtes et des alvéoles bien définies. Notons que les morilles doivent être bien cuites avant consommation puisqu’elle contiennent également une toxine, qui est toutefois éliminée à la cuisson.
 
Gyromitre commun
Gyromitra esculenta / Gyromitre commun
 
À noter qu’il pourrait également y avoir confusion avec le verpe de bohême, qui ressemble grandement à une morille blonde. Toutefois, les côtes sont quelque peu moins bien définies. Et, surtout, le pied va s’attacher directement sous le sommet de l’hyménophore, laissant ce dernier libre telles des lames libres sur un champignon lamellé. À noter qu’il existe un autre verpe, le verpe conique, qui présente un hyménophore plissé-ridé, des côtes plutôt primitives, et un long pied, lui conférant une apparence similaire aux léoties. Comme pour le verpe de bohême, le pied se rend jusqu’à l’apex de l’hyménophore. Heureusement, une confusion avec un verpe ne serait pas dangereuse puisque les verpes sont également comestibles, après cuisson.
 
Bon, voilà pour notre petit tour d’horizon des morilles… en espérant que vous en avez appris ne serait-ce qu’un tout petit peu de façon à vous coucher un peu plus érudits ce soir !
 

Texte & photos : Eric Rousseau

2 Comments

  • Réal Desranleau,

    J ai eu des morilles blondes tout près du solage de ma maison, pendant 2 ans, mais je n’en ai plus : Pourquoi

    • Avatar photo
      CMAQ,

      Bonjour ! 2 réponses me viennent spontanément en tête. 1) L’endroit peut avoir été piétiné et avoir endommagé le mycélium s’y trouvant. 2) Le mycélium a peut-être épuisé les ressources qui lui servaient de nourriture à cet endroit.

  • Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

    Previous reading
    Est-ce que le gyromitre commun est comestible ?
    Next reading
    Ça se mange ?